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Ce blog contient les articles publiés par Akram Belkaïd dans SlateAfrique.

mercredi

Le vent de liberté pourrait se transformer en tempête

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Le vent de liberté pourrait se transformer en tempête

12 février 2011

Et de deux! Après le 14 janvier à Tunis et le 11 février au Caire, la question qui se pose désormais est: à qui le tour?

Un manifestant agite un drapeau après le discours d'un général égyptien place Tahrir le 10 février 2011. REUTERS/Yannis Behrakis
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Zine el Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak ayant dégagé, qui sera le prochain despote qui sera obligé de quitter le pouvoir? La Révolution tunisienne avait provoqué un souffle contestataire à travers le monde arabe, mais il est évident que les conséquences de ce qui vient de se passer en Egypte seront encore plus énormes.
«Rendez-vous compte, c’est de l’Egypte dont il s’agit!», s’enthousiasme le politologue Ahssen Mourad. «Ce pays a toujours été à l’avant-garde des mutations du monde arabe. Il a permis la diffusion du nationalisme puis il a servi de pont au libéralisme, mais aussi à la normalisation avec Israël. Aujourd’hui, c’est de liberté et de démocratie qu’il s’agit. Avec l’énergie créatrice qui va se libérer en Egypte, ce sont tous les tyrans arabes qui vont trembler.»
Certes, personne ne sait comment les choses vont évoluer—d’autant que c’est l’armée égyptienne qui détient désormais les rennes du pays. Il n’empêche. Le fait même qu’un peuple obtienne le départ d’un dirigeant honni et usé par le pouvoir n’est pas neutre. De Rabat à Mascate, les populations arabes qui vivent toutes sous la botte de régimes dictatoriaux vont se sentir encouragées, et, par fierté, obligées d’imiter les Tunisiens et les Egyptiens.

L'Algérie défie le régime

Ce sera le cas dès ce samedi 12 février en Algérie où une partie de l’opposition a décidé de maintenir une marche pourtant interdite par le pouvoir. Après les émeutes de janvier, la tension sociale reste forte dans tout le pays et la capitale est en état de siège —tout ses accès étant contrôlés par des barrages filtrants mis en place par les forces de sécurité. «Je ne peux pas penser que les Algériens ne vont pas bouger», explique à SlateAfrique un membre de la Ligue algérienne des droits de l’Homme. Et d’insister sur le fait que «la situation est pourrie sur le plan politique et l’économie stagne malgré les 155 milliards de dollars de réserve de change».
Des indiscrétions recueillies auprès d’un haut-responsable algérien indiquent que plusieurs généraux se seraient discrètement réunis en début de semaine pour examiner les possibles conséquences d’une chute du régime de Moubarak.

Au Maroc, la tension monte

Mais il n’y a pas que l’Algérie. Plus ou moins épargné par les analystes occidentaux, le Maroc est aussi à la croisée des chemins. Plusieurs informations relayées par la presse espagnole font état de tensions entre l’armée et le Palais royal —en plus d'une conjoncture économique très préoccupante.
Le risque d’une révolte des populations qui n’arrivent pas à sortir de la pauvreté est dans tous les esprits. Nombre de Marocains n’ont pas oublié les émeutes sanglantes des années 1980 et 1990, notamment à Casablanca, et attendent que le roi prenne des initiatives pour prévenir toute explosion de violence.
«Mohamed VI n’est pas Moubarak, et encore moins Ben Ali», tempère un économiste de gauche. «Il a une légitimité et je vois mal le peuple réclamer son départ. Mais dans le même temps, son engagement dans les affaires dont certaines, comme les casinos, ne sont pas très "halal", le dessert. La période qui vient va exiger de lui qu’il soit dans l’action et qu’il cesse d’être absent de la scène politique.»
Un appel pour une marche le 20 février prochain circule d’ores et déjà sur Facebook. Rien ne dit qu’elle aura lieu mais, comme en Algérie, ce qui vient de se passer en Egypte aura fatalement des conséquences.

L'inquiétude au Proche-Orient

Ce sera le cas aussi en Syrie où l’inquiétude grandit parmi les caciques du régime. Accusées d’affairisme, la famille et la belle-famille de Bachar al-Assad sont au centre de toutes les rumeurs et les rancœurs d’un peuple las d’être contraint au silence depuis le début des années 1970. «Le souvenir des bombardements de la ville de Hama par le père de Bachar en 1982 pour mater la rébellion islamiste est encore dans les mémoires. Les Syriens vont tout de même y regarder à deux fois avant d’oser clamer leur désir de changement dans la rue», pronostique un diplomate français en poste au Levant.

Pour ce dernier, c’est surtout en Jordanie que des troubles graves risquent d’éclater à tout moment. Piliers de la monarchie hachémite, plusieurs tribus bédouines ont dénoncé la corruption dans l’entourage royal, notamment au sein de la famille de la reine Rania. A cela s’ajoute un ras-le-bol de l’influente communauté palestinienne qui n’en peut plus d’attendre des progrès dans le processus de paix régional.

Dans les pays du Golfe, la jeunesse gronde

Comme le Maghreb et le Machrek, le Khaleej, c’est-à-dire le Golfe et ses monarchies pétrolières, est d’ores et déjà atteint par la contagion tunisienne et égyptienne.
Il y a deux jours, plusieurs intellectuels de la région ont ainsi émis un communiqué commun appelant les familles régnantes à entreprendre des réformes, et à assurer une meilleure redistribution des richesses.

Souvent présentée comme un havre de stabilité malgré la menace terroriste d’Al-Qaida, l’Arabie saoudite a vu d’un très mauvais œil les événements égyptiens et n’a eu de cesse de soutenir Moubarak —y compris lorsqu’il s’est agi de critiquer l’ingérence américaine. Il faut dire que le royaume wahhabite connaît de sérieuses difficultés avec sa jeunesse.

Diplômée mais confrontée au chômage, cette dernière s’épanche sur la blogosphère en critiquant le manque de libertés et la corruption. De même, plusieurs articles de la presse locale ont tiré la sonnette d’alarme à propos de l’aggravation du phénomène de hooliganisme qui accompagne nombre de manifestations sportives ou culturelles. «En Arabie saoudite, deux tiers de la population a moins de 30 ans alors que la famille régnante est tenue par des quasi-nonagénaires. Cela va fatalement bouger», affirme Fayçal M., un universitaire saoudien.

Aux émirats, l'instabilité est religieuse et sociale

Deux autres monarchies risquent d’être particulièrement exposées au cours des prochains jours. Il y a d’abord le royaume de Bahreïn, où des tensions existent entre la population majoritairement chiite et la famille royale sunnite. Au cours des dernières semaines, le régime a procédé à l’arrestation de plusieurs activistes qui réclamaient une plus grande ouverture du champ politique et des réformes économiques.

Pour mémoire, cette monarchie a connu plusieurs attentats terroristes dans les années 1990, et ses services de sécurité —longtemps dirigés par des Britanniques— ont encore une très mauvaise réputation.

L’autre source possible d’instabilité se trouve aux Emirats arabes unis (EAU). Ces derniers ont déjà connu des émeutes provoquées par des travailleurs originaires du sous-continent indien. Que ces quasi-esclaves puissent d’une manière ou d’une autre être influencés par le courage des Egyptiens est très probable, quand on connaît leur nombre et leurs conditions de vie.
Il ne faut pas oublier le Koweït, pays dont nombre de tribus, toujours frondeuses, pourraient profiter de ce moment arabe pour arracher plus de pouvoirs à la famille régnante des Al-Sabah.

Le cas palestinien

Reste enfin un «pays» rarement cité, mais dont on se demande comment il va se comporter au cours des prochains jours. Il s’agit des territoires de Cisjordanie et Gaza. Divisés par une grave crise politique, humiliés par le statu quo en matière de négociation de paix,  mais aussi par les informations diffusées par Al Jazeera à propos de l’indulgence de Mahmoud Abbas vis-à-vis d’Israël, les Palestiniens pourraient décider de prendre leur sort en main pour chasser des dirigeants autoritaristes —quand ils ne sont pas tout simplement corrompus.
A bien des égards, ce qui vient de se passer en Egypte, ouvre la voie à une nouvelle ère du monde arabe.

Akram Belkaïd
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