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Ce blog contient les articles publiés par Akram Belkaïd dans SlateAfrique.

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Du foot, et rien que du foot

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Du foot, et rien que du foot

25 mars 2011

La tension est à son comble en prévision du match qui opposera l'Algérie aux Lions marocains dimanche 27 mars. Mais la confrontation sportive ne doit pas se transformer en règlement de comptes.

Amour (Algérie) et Mohamed (Maroc) lors du match aller de la CAN, le 3 mai 2008, à Alger. REUTERS/Louafi Larbi
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(Mise à jour. Le match Algérie-Maroc disputé le 27 mars à Annaba (Algérie), dans le cadre de la 3è journée (groupe D) des éliminatoires de la Coupe d'Afrique des nations (CAN-2012) de football a été remporté 1 à 0 par les Fennecs. Les Algériens ont transformé un penalty qui leur a permis de l'emporter sur les Lions de l'Atlas)


Ce match de l’Algérie contre le Maroc à Annaba pour la qualification à la Coupe d’Afrique des nations 2012 (qui aura lieu au Gabon et en Guinée équatoriale), je l’ai en tête depuis plusieurs mois. Ce n’est pas le rendez-vous sportif qui m’intéresse, même si j’essaie de suivre, tant bien que mal, les tribulations des Verts —que l’on ne compte pas sur moi pour désigner les joueurs de l’équipe nationalealgérienne par ce surnom stupide de «Fennecs». Unfennec, ça pue, c’est minuscule, c’est craintif et neuf Algériens sur dix n’en ont jamais vu!

A dire vrai, le résultat m’importe guère. La magie de laqualification à la Coupe du monde de 2010 (ah, ce fameux match d’appui contre l’Egypte à Khartoum!) s’est dissipée. Entretemps, il y a eu en Angola une Coupe d’Afrique plutôt mitigée (élimination en demi-finale par… l’Egypte, sur le terrible score de quatre buts à zéro) et une Coupe du monde en Afrique du Sud complètement ratée —même si certains pensent qu’avoir fait match nul contre l’Angleterre était l’exploit du siècle. Mais passons…

Des relations conflictuelles

En fait, dès l’annonce de ce match, une alarme s’est déclenchée quelque part dans mon cerveau. J’y ai vu la menace d’un événement susceptible de déraper en crise politique entre nos deux pays. A l’automne dernier, j’ai même pensé écrire un texte pour exhorter les Algériens et les Marocains à ne pas se laisser manipuler par leurs pouvoirs respectifs. Il faut dire que ce qui s’est passé entre l’Algérie et l’Egypte en 2009 est aussi un mauvais souvenir. Escalade verbale entre les deux capitales, insultes par médias interposés, actes de violences contre les ressortissants algériens installés en Egypte et vice versa: tout cela aurait pu déboucher sur une crise bien plus grave. A l’époque, j’avais écrit ces lignes:
«Dieu merci, il n’y a pas de frontières terrestre entre l’Algérie et l’Egypte, cela nous évite une guerre…».
Mais il y a une frontière entre l’Algérie et le Maroc. Certes, fermée —ce qui est d’ailleurs un autre motif de tension entre les deux pays— mais on comprendra aisément mon inquiétude. Comme nombre de Maghrébins convaincus —ce terme de «Maghrébins» doit être pris au sens de partisan d’une Union maghrébine entre les trois pays du Maghreb central— je crains toujours que lesbisbilles entre Alger et Rabat à propos du Sahara ne débouchent sur un conflit armé, comme ce fut le cas en 1975.

Certes, nos dirigeants respectifs s’emploient à ne pas insulter l’avenir et veillent à ce que l’irréparable ne soit pas commis, mais, sait-on jamais. Le football enclenche des mécanismes qu’il est souvent difficile de contrôler. J’ai beau adorer ce sport, j’ai conscience qu’il flatte aisément les plus bas instincts. Grâce à lui, on peut très vite passer du nationalisme au chauvinisme. Le voisin, l’Autre, devient soudain un ennemi à abattre. Pourquoi? Parce que l’arbitre lui a accordé un penalty, ou parce que des voyous manipulés ont caillassé le bus de notre équipe.

Algérie, Maroc: deux nations en colère

Avec les révolutions arabes, mes craintes n’ont pas disparu. Bien au contraire. Je vais me tenir le ventre jusqu’au match retour, craignant que l’un ou l’autre des pouvoirs—voire les deux— ne profitent de cette rencontre pour détourner la colère de leurs peuples respectifs. Manœuvre dilatoire classique. C’est un fait: ni l’Algérien ni le Marocain ne sont heureux. Tous les deuxmanifestent. Tous les deux veulent un avenir meilleur et n’en peuvent plus de la corruption, du népotisme, du féodalisme qui ne dit pas son nom et de cette fameuse hogra (mépris, en arabe), cette injustice qu’inflige le puissant au démuni.

En Algérie comme au Maroc, une lame de fond peut tout emporter sur son passage, balayant des pouvoirs qui n’aiment guère leurs peuples et qui considèrent que les pays dont ils ont la charge sont une propriété privée. Algériens, Marocains, deux cousins qui grondent et connaissent la même réalité, la même désespérance. Ils ont vu le courage des Tunisiens et des Egyptiens. Ils voient ce qui se passe en Libye, au Yémen, à Bahreïn et même en Syrie. «Pourquoi pas nous», se disent-ils, en ne se faisant aucune illusion sur les mesures d’ouverture qu’on feint de leur concéder, miettes éparses qu’on jette à la populace.

Et là, arrive ce match qui avive les passions, au point que la vente des billets à Annaba a provoqué des affrontements qui ont fait 50 blessés! J’espère d’abord que nous saurons accueillir les Marocains comme il se doit. Que nous n’oublierons pas que les rues de Casablanca, Rabat et d’autres villes du Royaume se sont emplies de monde et de youyous quand l’Algérie a éliminé l’Egypte en novembre 2009. Que nous n’oublierons pas que nous étions tous Marocains en 1986, lorsque l’équipe du royaume fut la première du continent à se qualifier pour le deuxième tour de la Coupe du monde alors que la nôtre avait buté sur les écueils espagnol et brésilien (un match de rêve mais une défaite quand même). J’espère que le pouvoir algérien ne sera pas tenté de faire de ce match l’occasion de détourner la colère et la frustration des gens. Et je constate qu’encore une fois, la classe politique locale est bien silencieuse, abandonnant aux journalistes la nécessité d’anticiper sur les événements et de rester vigilants.

L'âge d'or du foot algérien

Mais revenons au sport. Je lis, ici et là, que la rencontre entre les deux équipes est l’un de ces derbys habituels qui peuvent passionner tout un continent. Ce n’est pas totalement vrai. Dans la grande histoire du football maghrébin, la véritable bagarre a toujours opposé l’Algérie et la Tunisie (et l’Egypte, mais cette dernière ne fait pas partie du Maghreb, même si Le Caire a posé sa candidature à l’Union du Maghreb arabe). Interrogez notre mémoire collective et l’on vous parlera de ces éliminatoires de la Coupe du monde de 1978, où la Tunisie d’Attouga, gardien talentueux et provocateur, a fait pleurer et enrager des millions d’Algériens. Et ne parlons même pas des affrontements entre le Mouloudia d’Alger et le Club Africain, qui déclenchaient de telles passions que le président Boumediene en personne a décidé de les supprimer.

Le Maroc nous a battus plusieurs fois —la dernière rencontre pour des éliminatoires de la Coupe d’Afrique des nations remonte à 1970… Mais pour moi, il reste associé à l’émergence de cette équipe algérienne de rêve, dont je ne cesserai jamais de chanter la gloire. C’était en décembre 1979, à Casablanca, un match de qualification pour les Jeux olympiques de Moscou. Le score? 5 buts à 1 pour l’Algérie! Une Trriha! Une fessée!

Dans l’équipe algérienne, la génération dorée qui allait faire parler d’elle en Espagne pendant la Coupe du monde en 1982 venait de prendre le pouvoir. Le temps des Belloumi, Bensaoula, Madjer était venu. Après le match, le roi Hassan II s’était mis dans une colère noire et l’équipe marocaine fut entièrement chamboulée pour le match retour (3-0 pour l’Algérie au stade du 5 juillet à Alger). A l’époque, les relations politiques entre les deux pays étaient glaciales, mais aucun débordement ne fut signalé de part et d’autre de la frontière. Espérons qu’il en sera de même ce dimanche, quel que soit le résultat de la rencontre.

Akram Belkaïd
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