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Tunisie, le péril islamiste

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Tunisie, le péril islamiste

15 avril 2011

Si les Tunisiens veulent réussir leur transition démocratique, ils ne doivent pas reproduire les erreurs des Algériens en leur temps.

Tunis El-Minar University, by gallagher.michaelsean via Flickr CC
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Ne dites surtout pas aux Algériens que les Tunisiens sont le premier peuple du Maghreb à avoir fait sa révolution postindépendance. Irrités, ils vous répondront que leur pays a déjà connu un printemps démocratique et qu’ils ont déjà vécu ce que vivent aujourd’hui leurs voisins. Il est vrai que nombre de commentateurs tunisiens sont allés vite en besogne dans leur proclamation du caractère unique de leur Révolution.

C’était oublier qu’en octobre 1988, l’Algérie s’embrasaitdans une colère unanime contre le régime de Chadli Bendjedid et du Front de libération national (FLN), alors parti unique. Injustement qualifiées d’émeutes de la faim par les médias occidentaux (lesquels n’avaient rien vu venir), les manifestations de la jeunesse algérienne se sont terminées dans le sang avec la mort de près de 600 personnes, en majorité des jeunes. Ce coup de semonce a alors obligé le pouvoir algérien à s’engager dans une ouverture démocratique sans précédent dans le monde arabe. Multipartisme, liberté d’association, ouverture duchamp médiatique jusque-là contrôlé par le régime et encouragement à la création de journaux indépendants: voilà ce que furent les ingrédients du «printemps algérien».

Et comme en Tunisie aujourd’hui, ce fut un foisonnement d’initiatives citoyennes, de débats passionnés et d’espérances. Comme en Tunisie aujourd’hui, les Algériens ont vu avec surprise la multiplication de partis politiques dont le nombre dépassa rapidement la soixantaine. Et comme en Tunisie aujourd’hui, des politologues leurs rappelèrent que le phénomène n’était pas si exceptionnel que cela, puisque l’Espagne avait vécu la même frénésie démocratique au lendemain de la mort de Franco. On sait comment s’est (mal) terminé le printemps algérien. Au final, ce dernier a débouché sur une guerre civile (1992-2000) dont les effets se font encore ressentir aujourd’hui. Est-ce à dire qu’un tel risque plane sur la révolution tunisienne? Pas si sûr, car il existe une différence de taille entre les deux expériences démocratiques.

Les Tunisiens veulent en finir avec l’ancien régime

La grande victoire des Tunisiens est d’avoir chassé Ben Ali et d’avoir abattu le système de son parti, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Certes, de nombreux caciques de l’ancien régime continuent de s’activer en coulisse pour sauver leurs intérêts et freiner les ardeurs réformatrices nées le 14 janvier dernier. Mais personne n’ose penser qu’une restauration est possible et, de toutes les façons, la population demeure mobilisée —notamment la jeunesse.
En Algérie, le grand drame de la transition d’après octobre 1988 fut que cette dernière a été menée par ceux-là mêmes qui avaient ordonné à l’armée et à la police de tirer sur le peuple. Un peu comme si Ben Ali ou Moubarak avaient piloté les transitions tunisienne et égyptienne… Ce n’est d’ailleurs qu’en janvier 1922, soit plus de trois ans après les événements d’octobre, que leprésident Chadli Bendjedid fut forcé de démissionner. A ce moment-là, la transition avait complètement échoué du fait de la victoire des islamistes du Front islamique du salut (FIS) auxélections législatives du 26 décembre 1991. Une victoire très vite annulée par l’armée ce qui, on s’en souvient, précipita le pays dans la violence.

Contrairement aux Tunisiens, les Algériens n’ont donc pas pu —ou pas voulu— faire tomber le régime. Aux manifestations de la jeunesse succéda une position attentiste des classes moyennes et d’une bonne partie de la société algérienne. Les promesses d’ouverture politique suffirent au bonheur des uns et des autres malgré quelques rares voix qui exigèrent la démission de Chadli et la formation d’un gouvernement d’union nationale —voire l’élection d’une Assemblée constituante.
Plus important encore, la transition fut parasitée par le régime lui-même qui encouragea la création de nombreux partis politiques croupions totalement manipulés par les services secrets, la fameuse Sécurité militaire. Par leur immaturité politique, leurs déclarations fracassantes qui entretinrent un semblant de vie politique, ces formations ont contribué à discréditer le débat démocratique dans une conjoncture marquée par les difficultés économiques et la montée en force des islamistes. A noter enfin que les responsables de la répression sanglante d’octobre 1988 ainsi que ceux qui commirent par la suite des actes de torture à l’encontre des jeunes arrêtés ne furent jamais inquiétés.

En clair, la transition démocratique algérienne était condamnée à l’avance car le ver était encore dans le fruit. Il eut peut-être fallu plus de courage et plus de sacrifices, mais la société algérienne n’était peut-être pas prête à engager le bras de fer avec un régime en place depuis l’indépendance.

Sincères ou pas, les nouvelles autorités tunisiennes ont donc raison de vouloir juger les pontes de l’ancien régime. Certes, cela peut déboucher sur des phénomènes d’épuration et de purge à grande échelle, toujours dangereux. Mais c’est l’art des hommes politiques que de savoir où placer le curseur et de trouver un compromis acceptable entre pardon et punition. En cela, le procès de Ben Ali et de son entourage est chose nécessaire. Il faut empêcher que sa clientèle ne devienne un jour un recours possible ou qu’il ne fasse l’objet d’un culte nostalgique en raison des difficultés de la transition.

La menace islamiste

Il est tout de même une ressemblance entre les transitions algérienne et tunisienne: la montée en puissance des islamistes. En octobre 1988, ces derniers n’ont fait que suivre le mouvement de protestation. C’est le cas aussi en Tunisie où la Révolution ne s’est pas faite avec des mots d’ordres religieux. Certes, Ennahda, le parti islamiste tunisien, adopte un langage bien moins guerrier et radical que l’ex-FIS algérien. Pour mémoire, ce dernier avait très vite inquiété une bonne partie de la population tout en attirant à lui tous ceux qui haïssaient le système. On devine que la chute de Ben Ali et le démantèlement du RCD auraient constitué deux revendications majeures dont se seraient emparés les membres d’Ennahda si cela ne s’était pas réalisé. En Algérie, le FIS avait su capitaliser sur le fait que le pouvoir était toujours détenu par les mêmes et que l’ouverture démocratique n’était qu’un tour de passe-passe pour assurer le statu quo. De son côté, le régime avait vite compris qu’il était de son intérêt —du moins le croyait-il— de faire du FIS son unique challenger, de façon à attirer les électeurs effrayés par le parti religieux. Un schéma auquel échappent les Tunisiens, puisque le régime Ben Ali n’est plus là.

Mais ce qui est inquiétant, c’est que les islamistes tunisiens ont tendance ces derniers jours à multiplier les manifestations de force, à l’image de la prière collective organisée avenue Bourguiba à Tunis. Le risque est grand que les provocations se poursuivent si les autorités laissent faire ou adoptent un profil bas. En clair, c’est un langage de fermeté que les autorités tunisiennes doivent tenir, car elles ne doivent pas donner l’impression que tout est permis aux militants et sympathisants d’Ennahda.

Le problème dans l’affaire, c’est que ces derniers vont bénéficier d’un avantage de poids. Les médias, qu’ils soient occidentaux ou arabes, seront toujours plus enclins à couvrir leurs activités que celles des autres partis. Ce fut le cas en Algérie où les télévisions françaises, notamment la défunte La 5 contribuèrent à renforcer l’influence du FIS et à convaincre nombre d’Algériens –—qui venaient à peine de s’équiper d’antennes paraboliques— que ce parti était omniprésent et assuré de la victoire. Dans le rapport de force qui s’installe entre les partis de gauche tunisiens —seule force capable de contrer les islamistes— et Ennahda, le jeu des médias et leur parti pris va donc être fondamental.

Aux démocrates tunisiens de trouver les moyens d’occuper l’espace médiatique et de se faire entendre. En somme, à eux de faire de la politique sans courir derrière les islamistes.

Akram Belkaïd
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