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Ce blog contient les articles publiés par Akram Belkaïd dans SlateAfrique.

mercredi

Tunisie, le péril islamiste

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Tunisie, le péril islamiste

15 avril 2011

Si les Tunisiens veulent réussir leur transition démocratique, ils ne doivent pas reproduire les erreurs des Algériens en leur temps.

Tunis El-Minar University, by gallagher.michaelsean via Flickr CC
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Ne dites surtout pas aux Algériens que les Tunisiens sont le premier peuple du Maghreb à avoir fait sa révolution postindépendance. Irrités, ils vous répondront que leur pays a déjà connu un printemps démocratique et qu’ils ont déjà vécu ce que vivent aujourd’hui leurs voisins. Il est vrai que nombre de commentateurs tunisiens sont allés vite en besogne dans leur proclamation du caractère unique de leur Révolution.

C’était oublier qu’en octobre 1988, l’Algérie s’embrasaitdans une colère unanime contre le régime de Chadli Bendjedid et du Front de libération national (FLN), alors parti unique. Injustement qualifiées d’émeutes de la faim par les médias occidentaux (lesquels n’avaient rien vu venir), les manifestations de la jeunesse algérienne se sont terminées dans le sang avec la mort de près de 600 personnes, en majorité des jeunes. Ce coup de semonce a alors obligé le pouvoir algérien à s’engager dans une ouverture démocratique sans précédent dans le monde arabe. Multipartisme, liberté d’association, ouverture duchamp médiatique jusque-là contrôlé par le régime et encouragement à la création de journaux indépendants: voilà ce que furent les ingrédients du «printemps algérien».

Et comme en Tunisie aujourd’hui, ce fut un foisonnement d’initiatives citoyennes, de débats passionnés et d’espérances. Comme en Tunisie aujourd’hui, les Algériens ont vu avec surprise la multiplication de partis politiques dont le nombre dépassa rapidement la soixantaine. Et comme en Tunisie aujourd’hui, des politologues leurs rappelèrent que le phénomène n’était pas si exceptionnel que cela, puisque l’Espagne avait vécu la même frénésie démocratique au lendemain de la mort de Franco. On sait comment s’est (mal) terminé le printemps algérien. Au final, ce dernier a débouché sur une guerre civile (1992-2000) dont les effets se font encore ressentir aujourd’hui. Est-ce à dire qu’un tel risque plane sur la révolution tunisienne? Pas si sûr, car il existe une différence de taille entre les deux expériences démocratiques.

Les Tunisiens veulent en finir avec l’ancien régime

La grande victoire des Tunisiens est d’avoir chassé Ben Ali et d’avoir abattu le système de son parti, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Certes, de nombreux caciques de l’ancien régime continuent de s’activer en coulisse pour sauver leurs intérêts et freiner les ardeurs réformatrices nées le 14 janvier dernier. Mais personne n’ose penser qu’une restauration est possible et, de toutes les façons, la population demeure mobilisée —notamment la jeunesse.
En Algérie, le grand drame de la transition d’après octobre 1988 fut que cette dernière a été menée par ceux-là mêmes qui avaient ordonné à l’armée et à la police de tirer sur le peuple. Un peu comme si Ben Ali ou Moubarak avaient piloté les transitions tunisienne et égyptienne… Ce n’est d’ailleurs qu’en janvier 1922, soit plus de trois ans après les événements d’octobre, que leprésident Chadli Bendjedid fut forcé de démissionner. A ce moment-là, la transition avait complètement échoué du fait de la victoire des islamistes du Front islamique du salut (FIS) auxélections législatives du 26 décembre 1991. Une victoire très vite annulée par l’armée ce qui, on s’en souvient, précipita le pays dans la violence.

Contrairement aux Tunisiens, les Algériens n’ont donc pas pu —ou pas voulu— faire tomber le régime. Aux manifestations de la jeunesse succéda une position attentiste des classes moyennes et d’une bonne partie de la société algérienne. Les promesses d’ouverture politique suffirent au bonheur des uns et des autres malgré quelques rares voix qui exigèrent la démission de Chadli et la formation d’un gouvernement d’union nationale —voire l’élection d’une Assemblée constituante.
Plus important encore, la transition fut parasitée par le régime lui-même qui encouragea la création de nombreux partis politiques croupions totalement manipulés par les services secrets, la fameuse Sécurité militaire. Par leur immaturité politique, leurs déclarations fracassantes qui entretinrent un semblant de vie politique, ces formations ont contribué à discréditer le débat démocratique dans une conjoncture marquée par les difficultés économiques et la montée en force des islamistes. A noter enfin que les responsables de la répression sanglante d’octobre 1988 ainsi que ceux qui commirent par la suite des actes de torture à l’encontre des jeunes arrêtés ne furent jamais inquiétés.

En clair, la transition démocratique algérienne était condamnée à l’avance car le ver était encore dans le fruit. Il eut peut-être fallu plus de courage et plus de sacrifices, mais la société algérienne n’était peut-être pas prête à engager le bras de fer avec un régime en place depuis l’indépendance.

Sincères ou pas, les nouvelles autorités tunisiennes ont donc raison de vouloir juger les pontes de l’ancien régime. Certes, cela peut déboucher sur des phénomènes d’épuration et de purge à grande échelle, toujours dangereux. Mais c’est l’art des hommes politiques que de savoir où placer le curseur et de trouver un compromis acceptable entre pardon et punition. En cela, le procès de Ben Ali et de son entourage est chose nécessaire. Il faut empêcher que sa clientèle ne devienne un jour un recours possible ou qu’il ne fasse l’objet d’un culte nostalgique en raison des difficultés de la transition.

La menace islamiste

Il est tout de même une ressemblance entre les transitions algérienne et tunisienne: la montée en puissance des islamistes. En octobre 1988, ces derniers n’ont fait que suivre le mouvement de protestation. C’est le cas aussi en Tunisie où la Révolution ne s’est pas faite avec des mots d’ordres religieux. Certes, Ennahda, le parti islamiste tunisien, adopte un langage bien moins guerrier et radical que l’ex-FIS algérien. Pour mémoire, ce dernier avait très vite inquiété une bonne partie de la population tout en attirant à lui tous ceux qui haïssaient le système. On devine que la chute de Ben Ali et le démantèlement du RCD auraient constitué deux revendications majeures dont se seraient emparés les membres d’Ennahda si cela ne s’était pas réalisé. En Algérie, le FIS avait su capitaliser sur le fait que le pouvoir était toujours détenu par les mêmes et que l’ouverture démocratique n’était qu’un tour de passe-passe pour assurer le statu quo. De son côté, le régime avait vite compris qu’il était de son intérêt —du moins le croyait-il— de faire du FIS son unique challenger, de façon à attirer les électeurs effrayés par le parti religieux. Un schéma auquel échappent les Tunisiens, puisque le régime Ben Ali n’est plus là.

Mais ce qui est inquiétant, c’est que les islamistes tunisiens ont tendance ces derniers jours à multiplier les manifestations de force, à l’image de la prière collective organisée avenue Bourguiba à Tunis. Le risque est grand que les provocations se poursuivent si les autorités laissent faire ou adoptent un profil bas. En clair, c’est un langage de fermeté que les autorités tunisiennes doivent tenir, car elles ne doivent pas donner l’impression que tout est permis aux militants et sympathisants d’Ennahda.

Le problème dans l’affaire, c’est que ces derniers vont bénéficier d’un avantage de poids. Les médias, qu’ils soient occidentaux ou arabes, seront toujours plus enclins à couvrir leurs activités que celles des autres partis. Ce fut le cas en Algérie où les télévisions françaises, notamment la défunte La 5 contribuèrent à renforcer l’influence du FIS et à convaincre nombre d’Algériens –—qui venaient à peine de s’équiper d’antennes paraboliques— que ce parti était omniprésent et assuré de la victoire. Dans le rapport de force qui s’installe entre les partis de gauche tunisiens —seule force capable de contrer les islamistes— et Ennahda, le jeu des médias et leur parti pris va donc être fondamental.

Aux démocrates tunisiens de trouver les moyens d’occuper l’espace médiatique et de se faire entendre. En somme, à eux de faire de la politique sans courir derrière les islamistes.

Akram Belkaïd
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Pourquoi Abidjan n'intéresse pas le Maghreb

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Pourquoi Abidjan n'intéresse pas le Maghreb

8 avril 2011

Le désintérêt du Maghreb pour l'Afrique subsaharienne cache une forme de racisme encore tabou qui persiste sur le continent.

Banderole pour le Panaf (Blida), by amekinfo via Flickr CC
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Disons les choses franchement: la crise en Côte d’Ivoiren’intéresse guère les Maghrébins. Chacun ses problèmes, semblent dire Algériens, Marocains et Tunisiens. Il est vrai que la situation en Afrique du Nord est préoccupante —ne serait-ce qu’en raison de la guerre en Libye qui, jour après jour, menace de déstabiliser toute cette partie du continent. C’est ainsi que les regards se tournent plutôt du côté de Brega ou de Misrata que vers Abidjan. Mais les événements en Libye ainsi que les évolutions politiques en Tunisie et en Egypte n’expliquent pas tout.

Rupture médiatique

En règle générale, les Maghrébins n’ont que faire de ce qui se passe au sud du Sahara. Dans le passé, les graves crises qui ont ensanglanté l’Afrique subsaharienne n’ont pas déclenché d’émotions particulières. Qu’il s’agisse du génocide rwandais, de la guerre des Grands Lacs —véritable «Guerre mondiale» africaine— des crises d’Afrique de l’Ouest (Sierra Leone, Liberia)... Tous ces événements ont été suivis de très loin, y compris par les médias maghrébins, bien plus concernés par le monde arabe mais aussi par l’Occident.

On peut certainement y voir une forme de condescendance, voire même de racisme à l’égard de l’Afrique noire. Dans leur grande majorité, et même s’ils ne cessent de se plaindre de leur sort, les Maghrébins prennent d’ailleurs toujours soin d’expliquer que leur situation est tout de même bien plus enviable que celle des subsahariens dont, en réalité, ils ignorent tout ou presque. La presse qui traite des affaires du continent en sait quelque chose. Pour assurer une bonne diffusion dans les deux zones, elle est obligée, comme c’est le cas pour Jeune Afrique et Afrique Magazine, d’avoir deux unes distinctes. Petit indice qui en dit long: en 2008, les magazines qui ont mis le portrait d’Obama en couverture ont fait un carton en Afrique noire alors que leurs ventes ont à peine frémi au Maghreb…

Un racisme encore tabou

«Ils nous envient parce que nous sommes blancs». Que de fois ai-je entendu cette phrase à propos des habitants d’Afrique noire. Et combien de fois ai-je pris un malin plaisir à rappeler à mes interlocuteurs maghrébins, confrères compris, qu’eux aussi, ne leur en déplaise, étaient des Africains. En Algérie, au Maroc ou en Tunisie, le racisme à l’égard des noirs est une réalité —et un tabou. En 1991, je consacrais l’un de mes premiers reportages aux hommes de peine maliens employés par les familles bourgeoises d’Alger. Un vrai scandale. Les choses n’ont guère évolué et il est toujours aussi difficile d’être noir et de vivre au Maghreb.

Les étudiants subsahariens qui obtiennent des bourses d’études en savent quelque chose. Bien entendu, tout le monde ne leur est pas hostile, mais entendre à longueur de journée des quolibets dans la rue, être harcelé par des gamins moqueurs et faire face à une administration pas toujours accueillante n’est pas chose facile. Il y a quelques années, un ami français m’a accompagné pour des démarches à la préfecture de Paris.
«Ce n’est pas normal qu’ils vous traitent comme ça», m’a-t-il dit à propos du service pour les étrangers.
Je lui ai alors raconté la manière dont les subsahariens sont traités à Tunis, Alger ou Rabat quand il s’agit pour eux de renouveler leur titre de séjour dans des commissariats…

La fracture qui ne date pas d'hier

Il ne faut pas se leurrer. Ce désintérêt, ce racisme qui ne dit pas son nom, ce sentiment de supériorité, tout cela vient de très loin. Sinon, comment expliquer que dans certaines régions on continue d’appeler les noirs ‘Abid, terme qui veut dire esclave? Autre exemple, dans ses mémoires, l’historien algérien Mohamed Harbi raconte comment, dans les années 1950, un militant nationaliste fut critiqué par ses pairs pour s’être marié avec une française. Et l’homme de se défendre en posant cette question:
«Qui, parmi vous, serait prêt à m’accorder la main de sa sœur?»
On l’aura compris, ce nationaliste était noir de peau, ce qui lui valait un certain ostracisme de la part de ses camarades de lutte.
On aurait pu penser que les indépendances allaient permettre de créer de nouveaux liens de solidarité entre les deux Afrique. Ce fut un peu le cas, notamment grâce aux idéologies révolutionnaires et tiers-mondistes. Dans les années 1960, Alger fut la capitale de l’Afrique et nombre d’intellectuels du continent parlent encore avec nostalgie de son Festival Panafricain de 1969.


Il n’était alors question que de fraternité, de destin commun et de solidarité. Mais ces orientations décidées par le haut n’ont guère influencé l’état d’esprit des populations. La jeunesse maghrébine n’a jamais cessé de regarder vers le Nord et personne ne l’a incitée à «descendre» vers le Sud. L’auteur de ces lignes l’avoue avec mauvaise conscience: si j’ai bien sillonné le globe, l’Afrique subsaharienne reste le parent (très) pauvre de mes voyages.

Ajoutons à cela un autre élément de discorde, le même qui a divisé les Maghrébins entre eux; il s’agit bien entendu du football. A ce sujet, Didier Drogba est peut-être l’Ivoirien le plus connu au Maghreb, loin devant les politiciens qui mènent Sahel el-‘Âdj, la Côte d’Ivoire en arabe, à sa perte. Matchs violents, bagarres, arbitres achetés, insultes par médias interposés... La geste des équipes maghrébines en Afrique subsaharienne mérite d’être racontée un jour. Les accueils chauvins à Conakry, Ibadan ou Kinshasa ont contribué à exacerber la défiance des Maghrébins à l’égard de l’Afrique subsaharienne. Ce n’est pas un hasard si l’expression «l’Afrique» (à prononcer en roulant le r) demeure teintée de mépris.

En cela réside l’échec de l’Union africaine et, avant elle, de l’Organisation de l’unité africaine. A l’exception des musiciens et de quelques artistes, le sentiment d’appartenance à une même communauté de destin n’existe pas entre le nord et le sud du continent. Voilà pourquoi la crise ivoirienne n’émeut pas grand monde au Maghreb —islamistes compris, eux qui ne cherchent même pas à la présenter comme un conflit religieux.

Si la démocratie en Afrique est déjà un long chemin ardu, celui de l’unité et de la solidarité semble encore plus tortueux.

Akram Belkaïd
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Guéant, le côté obscur de la France

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Guéant, le côté obscur de la France

5 avril 2011

Le ministre français de l'Intérieur, Claude Guéant, explique que «l'accroissement du nombre de fidèles (musulmans) en France pose problème». Quelle est la prochaine étape, leur demander d'abjurer leur foi?, s'interroge Akram Belkaïd.

Claude Guéant, le ministre français de l'Intérieur, à Nice, le 4 mars 2011. REUTERS/Eric Gaillard
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Il fallait s’y attendre. Impossible pour le gouvernement français et l’UMP de ne pas débiter au moins une bêtise par semaine à propos de l’islam et des musulmans de France. Cette fois encore, c’est le serial-provocateur Claude Guéant, ministre de l’Intérieur de ce qui reste de la République française, qui fait parler de lui en affirmant que«l’accroissement du nombre de fidèles (musulmans) et un certain nombre de comportements posent problème». Et d’ajouter, alors qu’il était en déplacement à Nantes, qu’en 1905 —date à laquelle fut votée la loi de séparation entre l’église et l'Etat— «il y avait très peu de musulmans en France» alors qu’il y en aurait «entre 5 et 10 millions»aujourd’hui.

On ne peut être plus clair: l’augmentation du nombre de musulmans en France est donc un problème pour Claude Guéant. Une dénonciation qui fait écho à celle du présidentNicolas Sarkozy qui s’était élevé en novembre 2007 contre«le trop grand nombre de musulmans en Europe». Une sortie que le journaliste Jean Quatremer avait rapportée sur son blog sans que, d’ailleurs, cela n’émeuve personne dans l’Hexagone.

Commençons d’abord par relever qu’en 1905, l’Algérie faisant partie intégrante de la France, il y avait donc déjà un nombre important de fidèles musulmans sur le sol français —mais soit, passons… Cette sortie du ministre de l’Intérieur prouve d’abord une chose: en France, on peut désormais dire tout et n’importe quoi sur les musulmans. Terminé le temps des faux semblants, de la prudence oratoire et des circonvolutions sournoises; il suffit de dire les choses comme on pense. Il y a trop de musulmans: point à la ligne. Mais qu’en pensent les fidèles musulmans encartés à l’UMP? Jusqu’à quand vont-ils continuer d’avaler des couleuvres au sein d’une formation politique qui semble décidée à braconner à l’excès sur les terres du Front national?

Autre interrogation: que veut ce ministre de l’Intérieur, qui est censé défendre la liberté de culte? Réduire le nombre de fidèles musulmans? En les expulsant? En les privant de leur citoyenneté française au prétexte de défendre la loi de 1905? Va-t-on instaurer l’obligation d’abjurer sa foi musulmane pour devenir citoyen français ou tout simplement résident étranger en France? Imaginons la scène dans une préfecture: moi, Kaddour, ben Kaddour, jure sur l’honneur que je ne créerai aucun problème de nature religieuse. Je ne demanderai aucune construction de mosquée et je m’efforcerai de ne pas manger halal. Je serai, en un mot, invisible.

On va me dire, «oui, mais les prières dans la rue?» Ma réponse est simple: dans de nombreux pays musulmans, ces prières sont strictement interdites par les autorités. Pourquoi ne le sont-elles pas en France? De plus, il n’y a aucune obligation pour les musulmans de prier à la mosquée sauf pour quelques prières particulières, notamment celle du vendredi —et là encore, certaines interprétations estiment que ce n’est pas obligatoire. En clair, cette question de la prière dans la rue peut se régler pour peu que l’autorité politique le veuille. Et j’aimerais bien savoir combien de gens prient dans la rue sur ces 10 millions de musulmans estimés par Guéant.

Ce n’est pas à un ministre de la République de dire s’il y a trop ou pas assez de musulmans, de juifs ou de chrétiens en France. Ce n’est pas à lui de porter un jugement sur l’aspect positif ou non d’une évolution démographique. Les propos qu’il vient de tenir en disent long sur l’état de confusion qui règne dans ce pays. Tout cela est de très mauvais augure —comme si des forces négatives concouraient à envenimer toujours un peu plus un climat déjà délétère.

Akram Belkaïd
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Porter l’étoile verte? Et puis quoi encore!

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Porter l’étoile verte? Et puis quoi encore!

31 mars 2011

S'il y a bien un combat à mener contre la stigmatisation des musulmans en France, il ne faut pas pousser la comparaison trop loin, au risque de desservir la cause.

Abderahmane Dahmane montre son étoile verte lors d'une conférence de presse à la Grande Mosquée de Paris REUTERS/Gonzalo Fuentes
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C’est un fait: être musulman en France n’est pas toujours chose facile. Le débat actuel autour de l’islam et la volonté manifeste d’une partie de la droite, dite républicaine (ne parlons même pas de l’extrême droite), d’instrumentaliser cette religion pour concurrencer le Front national le montrent bien. Il est difficile de ne pas se sentir pointé du doigt même pour celles et ceux qui ne mettent jamais les pieds dans une mosquée et dont la pratique religieuse est des plus limitées. Ces talk-shows venimeux à la télévision (y compris sur le service public!), ces déclarations récurrentesdes Copé et cie qui donnent à penser que tous les musulmans de France, qu’ils soient citoyens ou ressortissants étrangers, conspirent à abattre la laïcité, sont insupportables.

En ce moment, être musulman en France, c’est encaisser de manière quotidienne les délires de politiciens hystériques dont on se demande s’ils n’ont pas mieux à faire pour relancer l’économie, sauver le modèle social français et réduire les inégalités qui minent la société. Etre musulman, c’est se dire: que vont-«ils» encore inventer aujourd’hui? Nous avons eu droit à l’exploitation effrénée de phénomènes minoritaires comme le voile intégral et les prières dans la rue, mais d’autres sujets vont certainement faire leur apparition dans les semaines qui viennent. Parions que l’on va nous parler de la viande halal, des prénoms arabes, de la circoncision et même du ramadan en attendant d’embrayer sur des thèmes que l’on sent poindre telle la question de savoir si, en ces temps de guerre, les français musulmans (expression insupportable qui renvoie à la période coloniale) sont loyaux à l’égard de leur pays.

Mais être musulman, c’est aussi se sentir pris en otage par des aventuriers et des manipulateurs qui parlent au nom d’une communauté qui, en réalité, n’existe pas tant elle est diverse et fragmentée. De fait, l’auteur de ces lignes ne se sent aucunement représenté par le Conseil français du culte musulman et encore moins par toutes ces associations qui occupent le terrain médiatique et qui contribuent, à leur façon, à rendre le climat actuel encore plus délétère. En appelant les musulmans à «porter une étoile verte» pour protester contre le débat sur la laïcité,Abderahmane Dahmane, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, commet ainsi une grave erreur —tant sur le fond que sur la forme. Il y a des symboles historiques qu’il faut manier avec précaution et il faut surtout savoir de quoi on parle. Laisser entendre que la situation actuelle des musulmans de France est comparable à celle des juifs sous Vichy est une aberration. Au mieux, cela dénote une absence totale de culture historique. Au pire, cela s’inscrit dans une position victimaire outrancière, qui dessert le combat contre la stigmatisation des musulmans.

Cette proposition de porter l’étoile verte est honteuse. Elle est même une insulte aux victimes de la politique antisémite des autorités françaises entre 1940 et 1944. Parler d’étoile verte, en référence à l’étoile jaune, revient à faire croire que les musulmans de France sont menacés de génocide. C’est créer un précédent en introduisant dans le débat politique un nouveau symbole, qui va certainement être récupéré par tout ce que le champ politique compte comme extrémistes et provocateurs. C’est convaincre une partie de l’opinion publique de l’immaturité de celles et ceux qui tentent de s’organiser pour dénoncer la stigmatisation des musulmans par une partie de la classe politique et de l’intelligentsia françaises. Soyons clairs: il y a bel et bien une bataille à mener contre ceux qui font des musulmans des boucs émissaires. Mais ce combat peut très bien se mener dans un cadre républicain et, surtout, il n’a nul besoin de surenchères de la sorte.

 Akram Belkaïd
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Du foot, et rien que du foot

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Du foot, et rien que du foot

25 mars 2011

La tension est à son comble en prévision du match qui opposera l'Algérie aux Lions marocains dimanche 27 mars. Mais la confrontation sportive ne doit pas se transformer en règlement de comptes.

Amour (Algérie) et Mohamed (Maroc) lors du match aller de la CAN, le 3 mai 2008, à Alger. REUTERS/Louafi Larbi
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(Mise à jour. Le match Algérie-Maroc disputé le 27 mars à Annaba (Algérie), dans le cadre de la 3è journée (groupe D) des éliminatoires de la Coupe d'Afrique des nations (CAN-2012) de football a été remporté 1 à 0 par les Fennecs. Les Algériens ont transformé un penalty qui leur a permis de l'emporter sur les Lions de l'Atlas)


Ce match de l’Algérie contre le Maroc à Annaba pour la qualification à la Coupe d’Afrique des nations 2012 (qui aura lieu au Gabon et en Guinée équatoriale), je l’ai en tête depuis plusieurs mois. Ce n’est pas le rendez-vous sportif qui m’intéresse, même si j’essaie de suivre, tant bien que mal, les tribulations des Verts —que l’on ne compte pas sur moi pour désigner les joueurs de l’équipe nationalealgérienne par ce surnom stupide de «Fennecs». Unfennec, ça pue, c’est minuscule, c’est craintif et neuf Algériens sur dix n’en ont jamais vu!

A dire vrai, le résultat m’importe guère. La magie de laqualification à la Coupe du monde de 2010 (ah, ce fameux match d’appui contre l’Egypte à Khartoum!) s’est dissipée. Entretemps, il y a eu en Angola une Coupe d’Afrique plutôt mitigée (élimination en demi-finale par… l’Egypte, sur le terrible score de quatre buts à zéro) et une Coupe du monde en Afrique du Sud complètement ratée —même si certains pensent qu’avoir fait match nul contre l’Angleterre était l’exploit du siècle. Mais passons…

Des relations conflictuelles

En fait, dès l’annonce de ce match, une alarme s’est déclenchée quelque part dans mon cerveau. J’y ai vu la menace d’un événement susceptible de déraper en crise politique entre nos deux pays. A l’automne dernier, j’ai même pensé écrire un texte pour exhorter les Algériens et les Marocains à ne pas se laisser manipuler par leurs pouvoirs respectifs. Il faut dire que ce qui s’est passé entre l’Algérie et l’Egypte en 2009 est aussi un mauvais souvenir. Escalade verbale entre les deux capitales, insultes par médias interposés, actes de violences contre les ressortissants algériens installés en Egypte et vice versa: tout cela aurait pu déboucher sur une crise bien plus grave. A l’époque, j’avais écrit ces lignes:
«Dieu merci, il n’y a pas de frontières terrestre entre l’Algérie et l’Egypte, cela nous évite une guerre…».
Mais il y a une frontière entre l’Algérie et le Maroc. Certes, fermée —ce qui est d’ailleurs un autre motif de tension entre les deux pays— mais on comprendra aisément mon inquiétude. Comme nombre de Maghrébins convaincus —ce terme de «Maghrébins» doit être pris au sens de partisan d’une Union maghrébine entre les trois pays du Maghreb central— je crains toujours que lesbisbilles entre Alger et Rabat à propos du Sahara ne débouchent sur un conflit armé, comme ce fut le cas en 1975.

Certes, nos dirigeants respectifs s’emploient à ne pas insulter l’avenir et veillent à ce que l’irréparable ne soit pas commis, mais, sait-on jamais. Le football enclenche des mécanismes qu’il est souvent difficile de contrôler. J’ai beau adorer ce sport, j’ai conscience qu’il flatte aisément les plus bas instincts. Grâce à lui, on peut très vite passer du nationalisme au chauvinisme. Le voisin, l’Autre, devient soudain un ennemi à abattre. Pourquoi? Parce que l’arbitre lui a accordé un penalty, ou parce que des voyous manipulés ont caillassé le bus de notre équipe.

Algérie, Maroc: deux nations en colère

Avec les révolutions arabes, mes craintes n’ont pas disparu. Bien au contraire. Je vais me tenir le ventre jusqu’au match retour, craignant que l’un ou l’autre des pouvoirs—voire les deux— ne profitent de cette rencontre pour détourner la colère de leurs peuples respectifs. Manœuvre dilatoire classique. C’est un fait: ni l’Algérien ni le Marocain ne sont heureux. Tous les deuxmanifestent. Tous les deux veulent un avenir meilleur et n’en peuvent plus de la corruption, du népotisme, du féodalisme qui ne dit pas son nom et de cette fameuse hogra (mépris, en arabe), cette injustice qu’inflige le puissant au démuni.

En Algérie comme au Maroc, une lame de fond peut tout emporter sur son passage, balayant des pouvoirs qui n’aiment guère leurs peuples et qui considèrent que les pays dont ils ont la charge sont une propriété privée. Algériens, Marocains, deux cousins qui grondent et connaissent la même réalité, la même désespérance. Ils ont vu le courage des Tunisiens et des Egyptiens. Ils voient ce qui se passe en Libye, au Yémen, à Bahreïn et même en Syrie. «Pourquoi pas nous», se disent-ils, en ne se faisant aucune illusion sur les mesures d’ouverture qu’on feint de leur concéder, miettes éparses qu’on jette à la populace.

Et là, arrive ce match qui avive les passions, au point que la vente des billets à Annaba a provoqué des affrontements qui ont fait 50 blessés! J’espère d’abord que nous saurons accueillir les Marocains comme il se doit. Que nous n’oublierons pas que les rues de Casablanca, Rabat et d’autres villes du Royaume se sont emplies de monde et de youyous quand l’Algérie a éliminé l’Egypte en novembre 2009. Que nous n’oublierons pas que nous étions tous Marocains en 1986, lorsque l’équipe du royaume fut la première du continent à se qualifier pour le deuxième tour de la Coupe du monde alors que la nôtre avait buté sur les écueils espagnol et brésilien (un match de rêve mais une défaite quand même). J’espère que le pouvoir algérien ne sera pas tenté de faire de ce match l’occasion de détourner la colère et la frustration des gens. Et je constate qu’encore une fois, la classe politique locale est bien silencieuse, abandonnant aux journalistes la nécessité d’anticiper sur les événements et de rester vigilants.

L'âge d'or du foot algérien

Mais revenons au sport. Je lis, ici et là, que la rencontre entre les deux équipes est l’un de ces derbys habituels qui peuvent passionner tout un continent. Ce n’est pas totalement vrai. Dans la grande histoire du football maghrébin, la véritable bagarre a toujours opposé l’Algérie et la Tunisie (et l’Egypte, mais cette dernière ne fait pas partie du Maghreb, même si Le Caire a posé sa candidature à l’Union du Maghreb arabe). Interrogez notre mémoire collective et l’on vous parlera de ces éliminatoires de la Coupe du monde de 1978, où la Tunisie d’Attouga, gardien talentueux et provocateur, a fait pleurer et enrager des millions d’Algériens. Et ne parlons même pas des affrontements entre le Mouloudia d’Alger et le Club Africain, qui déclenchaient de telles passions que le président Boumediene en personne a décidé de les supprimer.

Le Maroc nous a battus plusieurs fois —la dernière rencontre pour des éliminatoires de la Coupe d’Afrique des nations remonte à 1970… Mais pour moi, il reste associé à l’émergence de cette équipe algérienne de rêve, dont je ne cesserai jamais de chanter la gloire. C’était en décembre 1979, à Casablanca, un match de qualification pour les Jeux olympiques de Moscou. Le score? 5 buts à 1 pour l’Algérie! Une Trriha! Une fessée!

Dans l’équipe algérienne, la génération dorée qui allait faire parler d’elle en Espagne pendant la Coupe du monde en 1982 venait de prendre le pouvoir. Le temps des Belloumi, Bensaoula, Madjer était venu. Après le match, le roi Hassan II s’était mis dans une colère noire et l’équipe marocaine fut entièrement chamboulée pour le match retour (3-0 pour l’Algérie au stade du 5 juillet à Alger). A l’époque, les relations politiques entre les deux pays étaient glaciales, mais aucun débordement ne fut signalé de part et d’autre de la frontière. Espérons qu’il en sera de même ce dimanche, quel que soit le résultat de la rencontre.

Akram Belkaïd
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La versatilité du monde arabe

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La versatilité du monde arabe

21 mars 2011

Alors que le monde arabe réclamait hier encore la chute du régime de Kadhafi, il dénonce aujourd'hui l'intervention occidentale.

Le président du Parlement européen Jerzy Buzekat et le secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa. REUTERS/Abd El-Ghany
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Si la manière dont nombre d’Arabes réagissent àl’intervention de la coalition internationale en Libye peut paraître déroutante, elle n’est guère surprenante.
Hier, les uns et les autres, de Rabat au Caire en passant par Paris ou Londres, appelaient à renverser Kadhafi et vitupéraient contre l’Europe et les Etats-Unis, coupables de ne pas porter secours aux rebelles et populations civiles de Benghazi.

Quoiqu'il fasse, l'Occident a toujours tort

Quelques heures à peine après les premiers bombardements, voilà que les bons vieux réflexes anti-occidentaux reprennent le dessus: on reparle de l’Irak et de l’Afghanistan, voire même du Liban des années 1980, et on crie au complot américain.
Cela en dit long sur l’absence totale de confiance à l’égard de l’Occident: quoique fasse ce dernier, il est coupable. Certes, personne ou presque ne défend Kadhafi, mais on sent bien la gêne —pour ne pas dire l’hostilité— à l’encontre des frappes aériennes.

Sur Internet, ce n’est plus la folie sanguinaire du dictateur libyen qui est dénoncée, mais l’existence possible d’un plan occidental —mûri depuis longtemps, bien entendu— pour prendre le contrôle du pétrole libyen, ou même pour recoloniser l’Afrique du nord. Du coup, l’observateur s’attend même à ce que le guide de Tripoli devienne soudain sympathique et qu’on lui concède les habits de la victime.

Quelle versatilité! Quelle propension à oublier ce que l’on exigeait la veille! Quelle capacité à perdre de vue l’essentiel, qui reste le sauvetage de Benghazi! Quelle naïveté aussi. En appelant à l’aide les Occidentaux, qui pouvait croire qu’ils se contenteraient d’un engagement «light»?
Quand on entend Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue arabe, se plaindre que les raids vont au-delà de l'objectif d'imposition d'une zone d'exclusion aérienne, on a envie de lui demander «mais, qu’espériez-vous?». D’abord, une telle zone implique la destruction de tout moyen au sol capable de neutraliser un avion de la coalition. Ensuite, quel serait l’intérêt de cette «no-fly zone» si les obus d’artillerie de l’armée de Kadhafi continuent de dévaster les positions des rebelles?

Mesurer les conséquences avant de prendre position

La guerre n’est pas un jeu. Elle ne peut être propre, elle ne peut être chirurgicale. Ceux qui ont appelé à l’aide l’Occident pour sauver Benghazi, savaient —ou auraient dû savoir— que des civils, de Tripoli ou d’ailleurs, en paieraient le terrible prix. C’est l’un des paradoxes de toute opération militaire. Même dans les films hollywoodiens, sauver des civils provoque presque toujours la mort d’autres civils…

Certains sont peut-être allés trop vite dans leur souhait de voir Kadhafi tomber grâce à une intervention extérieure. Ils réalisent aujourd'hui que prendre position nécessite d’en mesurer toutes les conséquences. C’est cela la maturité. En manquer, c’est être l’otage d’une émotivité et d’une versatilité qui ne cessent de nuire aux peuples arabes.

Regardons la réalité en face: les rebelles libyens n’ont pas été capables de vaincre Kadhafi. Ils n’ont pas réussi à faire ce que les Tunisiens ou les Egyptiens ont réalisé, et c’est bien dommage pour la Libye. De plus, comme le relève le site Maghreb Emergent, les Arabes n’ont pas été capables de régler seuls cette affaire. Même chose pour les Africains et leur Union africaine qui ne sert à rien. Pour sauver Benghazi, le recours à l’Occident était nécessaire.

L'enjeu en vaut la chandelle

Qu’importe que l’intervention de la coalition relève plus de l’improvisation que d’une véritable préparation stratégique —personne ne sait comment cette aventure militaire va se terminer. Qu’importe qu’elle profite électoralement à Nicolas Sarkozy (et c'est loin d’être garanti…). Qu’importe si les Etats-Unis ont désormais un argument supplémentaire pour implanter une base dans la région, qu’importe que le pétrole libyen passe sous contrôle étranger —de toute façon, il l’est déjà. L'enjeu en vaut la chandelle: il s’agit de sauver un mouvement populaire qui entend chasser un dictateur au pouvoir depuis 1969.

Plutôt que céder à un sentiment anti-occidental primaire, ou, plutôt, à l’habituel anti-américanisme qui irrigue le monde arabe, il serait plus honnête d’assumer son soutien à une intervention que tout le monde a appelé de ses vœux.

Cela ne signifie pas qu’il faille baisser sa garde et faire confiance à la coalition —il est évident que certains de ses membres ont un agenda caché. Il est évident que le scénario de la partition de la Libye fait partie des hypothèses et qu’il a toujours figuré à portée de main des stratèges occidentaux. Mais faisons confiance au peuple libyen. Il saura chasser le tyran de Tripoli et restaurer, tôt ou tard, la souveraineté de son pays.

Akram Belkaïd
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