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Pourquoi Abidjan n'intéresse pas le Maghreb

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Pourquoi Abidjan n'intéresse pas le Maghreb

8 avril 2011

Le désintérêt du Maghreb pour l'Afrique subsaharienne cache une forme de racisme encore tabou qui persiste sur le continent.

Banderole pour le Panaf (Blida), by amekinfo via Flickr CC
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Disons les choses franchement: la crise en Côte d’Ivoiren’intéresse guère les Maghrébins. Chacun ses problèmes, semblent dire Algériens, Marocains et Tunisiens. Il est vrai que la situation en Afrique du Nord est préoccupante —ne serait-ce qu’en raison de la guerre en Libye qui, jour après jour, menace de déstabiliser toute cette partie du continent. C’est ainsi que les regards se tournent plutôt du côté de Brega ou de Misrata que vers Abidjan. Mais les événements en Libye ainsi que les évolutions politiques en Tunisie et en Egypte n’expliquent pas tout.

Rupture médiatique

En règle générale, les Maghrébins n’ont que faire de ce qui se passe au sud du Sahara. Dans le passé, les graves crises qui ont ensanglanté l’Afrique subsaharienne n’ont pas déclenché d’émotions particulières. Qu’il s’agisse du génocide rwandais, de la guerre des Grands Lacs —véritable «Guerre mondiale» africaine— des crises d’Afrique de l’Ouest (Sierra Leone, Liberia)... Tous ces événements ont été suivis de très loin, y compris par les médias maghrébins, bien plus concernés par le monde arabe mais aussi par l’Occident.

On peut certainement y voir une forme de condescendance, voire même de racisme à l’égard de l’Afrique noire. Dans leur grande majorité, et même s’ils ne cessent de se plaindre de leur sort, les Maghrébins prennent d’ailleurs toujours soin d’expliquer que leur situation est tout de même bien plus enviable que celle des subsahariens dont, en réalité, ils ignorent tout ou presque. La presse qui traite des affaires du continent en sait quelque chose. Pour assurer une bonne diffusion dans les deux zones, elle est obligée, comme c’est le cas pour Jeune Afrique et Afrique Magazine, d’avoir deux unes distinctes. Petit indice qui en dit long: en 2008, les magazines qui ont mis le portrait d’Obama en couverture ont fait un carton en Afrique noire alors que leurs ventes ont à peine frémi au Maghreb…

Un racisme encore tabou

«Ils nous envient parce que nous sommes blancs». Que de fois ai-je entendu cette phrase à propos des habitants d’Afrique noire. Et combien de fois ai-je pris un malin plaisir à rappeler à mes interlocuteurs maghrébins, confrères compris, qu’eux aussi, ne leur en déplaise, étaient des Africains. En Algérie, au Maroc ou en Tunisie, le racisme à l’égard des noirs est une réalité —et un tabou. En 1991, je consacrais l’un de mes premiers reportages aux hommes de peine maliens employés par les familles bourgeoises d’Alger. Un vrai scandale. Les choses n’ont guère évolué et il est toujours aussi difficile d’être noir et de vivre au Maghreb.

Les étudiants subsahariens qui obtiennent des bourses d’études en savent quelque chose. Bien entendu, tout le monde ne leur est pas hostile, mais entendre à longueur de journée des quolibets dans la rue, être harcelé par des gamins moqueurs et faire face à une administration pas toujours accueillante n’est pas chose facile. Il y a quelques années, un ami français m’a accompagné pour des démarches à la préfecture de Paris.
«Ce n’est pas normal qu’ils vous traitent comme ça», m’a-t-il dit à propos du service pour les étrangers.
Je lui ai alors raconté la manière dont les subsahariens sont traités à Tunis, Alger ou Rabat quand il s’agit pour eux de renouveler leur titre de séjour dans des commissariats…

La fracture qui ne date pas d'hier

Il ne faut pas se leurrer. Ce désintérêt, ce racisme qui ne dit pas son nom, ce sentiment de supériorité, tout cela vient de très loin. Sinon, comment expliquer que dans certaines régions on continue d’appeler les noirs ‘Abid, terme qui veut dire esclave? Autre exemple, dans ses mémoires, l’historien algérien Mohamed Harbi raconte comment, dans les années 1950, un militant nationaliste fut critiqué par ses pairs pour s’être marié avec une française. Et l’homme de se défendre en posant cette question:
«Qui, parmi vous, serait prêt à m’accorder la main de sa sœur?»
On l’aura compris, ce nationaliste était noir de peau, ce qui lui valait un certain ostracisme de la part de ses camarades de lutte.
On aurait pu penser que les indépendances allaient permettre de créer de nouveaux liens de solidarité entre les deux Afrique. Ce fut un peu le cas, notamment grâce aux idéologies révolutionnaires et tiers-mondistes. Dans les années 1960, Alger fut la capitale de l’Afrique et nombre d’intellectuels du continent parlent encore avec nostalgie de son Festival Panafricain de 1969.


Il n’était alors question que de fraternité, de destin commun et de solidarité. Mais ces orientations décidées par le haut n’ont guère influencé l’état d’esprit des populations. La jeunesse maghrébine n’a jamais cessé de regarder vers le Nord et personne ne l’a incitée à «descendre» vers le Sud. L’auteur de ces lignes l’avoue avec mauvaise conscience: si j’ai bien sillonné le globe, l’Afrique subsaharienne reste le parent (très) pauvre de mes voyages.

Ajoutons à cela un autre élément de discorde, le même qui a divisé les Maghrébins entre eux; il s’agit bien entendu du football. A ce sujet, Didier Drogba est peut-être l’Ivoirien le plus connu au Maghreb, loin devant les politiciens qui mènent Sahel el-‘Âdj, la Côte d’Ivoire en arabe, à sa perte. Matchs violents, bagarres, arbitres achetés, insultes par médias interposés... La geste des équipes maghrébines en Afrique subsaharienne mérite d’être racontée un jour. Les accueils chauvins à Conakry, Ibadan ou Kinshasa ont contribué à exacerber la défiance des Maghrébins à l’égard de l’Afrique subsaharienne. Ce n’est pas un hasard si l’expression «l’Afrique» (à prononcer en roulant le r) demeure teintée de mépris.

En cela réside l’échec de l’Union africaine et, avant elle, de l’Organisation de l’unité africaine. A l’exception des musiciens et de quelques artistes, le sentiment d’appartenance à une même communauté de destin n’existe pas entre le nord et le sud du continent. Voilà pourquoi la crise ivoirienne n’émeut pas grand monde au Maghreb —islamistes compris, eux qui ne cherchent même pas à la présenter comme un conflit religieux.

Si la démocratie en Afrique est déjà un long chemin ardu, celui de l’unité et de la solidarité semble encore plus tortueux.

Akram Belkaïd
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