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mardi

Conflit libyen: l'Algérie n'a pas encore choisi son camp

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20 avril 2011

Le président Abdelaziz Bouteflika s'est exprimé officiellement sur la crise en Libye. Mais les observateurs s'interrogent toujours sur l'ambiguïté de la position algérienne.

Mouammar Kadhafi s'amuse avec la Ligue arabe lors d'un sommet à Alger. REUTERS/Zohra Bensemra
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Mais quelle est donc la position algérienne vis-à-vis de la crise libyenne? C’est la question que se posent nombre de capitales arabes et de chancelleries occidentales sans oublier les chaînes satellitaires, Al-Jazeera en tête. Le moins que l’on puisse dire c’est que l’attitude du pouvoir algérien demeure pour le moins ambiguë.
Officiellement, et comme l’a implicitement rappelé le président Abdelaziz Bouteflika lors de son dernier discoursdu vendredi 15 avril 2011, l’Algérie défend le «principe de non-ingérence». En clair, ce pays ne se mêle pas des affaires des autres (et ces derniers n’ont donc pas à se mêler des siennes...).
Dans une tentative de clarification, Mourad Medelci, le ministre algérien des Affaires étrangères, a rappelé de son côté que son pays appelle au «dialogue entre les deux parties» et à la cessation des combats. C’est ce qui explique pourquoi Alger garde ses distances avec le groupe international de contact sur la Libye (lequel souhaite plus ou moins ouvertement la chute de Kadhafi) et soutient, dans le même temps, l’initiative de paix de l’Union africaine qui cherche à convaincre les belligérants d’accepter un cessez-le-feu immédiat et l’ouverture de négociations.

Comment soutenir ce voisin encombrant?

Mais cette posture intrigue car, aussi neutre soit-il, le gouvernement algérien a refusé de jouer le rôle de médiateur entre les deux parties et s'est même positionné diplomatiquement contre l’intervention de l’Otan qu’il juge disproportionnée et hors du périmètre de la résolution de 1973 votée par les Nations unies. De plus, les relations entre Alger et les représentants des rebelles sont exécrables et plusieurs responsables algériens n’ont pas caché leur hostilité vis-à-vis de ceux qu’ils considèrent comme des fauteurs de trouble.
A ce sujet, la palme revient à Abdelaziz Belkhadem, le Secrétaire général du Front de libération nationale (FLN). Soutien du régime et candidat potentiel à la succession de Bouteflika, ce conservateur a fustigé les opposants libyens «qui ont fait appel à l’Otan pour massacrer leurs frères». Et de rappeler que les Algériens, eux, avaient «combattu l’Otan», allusion au fait que la France faisait partie de l’Alliance atlantique à l’époque de la guerre d’indépendance (1954-1962). S’il faut relever au passage que l’Algérie est désormais un partenaire de l’Otan, il est indéniable que nombre d’Algériens voient d’un mauvais œil des troupes étrangères, notamment françaises, intervenir à leur frontière.
«Quand l’armée française rode dans le Sahel ou dans le ciel libyen, ça ne peut que nous rendre nerveux. Il ne faudrait pas que cela donne des idées à certains nostalgiques de la période coloniale», confie à ce sujet un éditorialiste.
Le plus étonnant dans l’affaire, c’est que l’on aurait pu penser que le régime algérien se serait frotté les mains à la perspective de la chute de Mouammar Kadhafi. Ce n’est un secret pour personne que les relations entre Alger et Tripoli ont été des plus tendues depuis le début des années 1990. Le «Guide» a ainsi souvent été accusé de fermer l’œil quand des armes transitaient via le désert libyen à destination des maquis islamistes. A plusieurs reprises, les Algériens se sont emportés contre lui en raison de ses activités déstabilisatrices en Afrique noire et dans le Sahel mais aussi pour son refus d’accepter un bornage définitif des frontières entre les deux pays (Kadhafi a régulièrement revendiqué la souveraineté libyenne sur plusieurs villes du Sud-Est algérien).
D’autres griefs majeurs ont envenimé les relations entre les deux capitales, parmi lesquels le sort de centaines de migrants clandestins algériens détenus sans procès dans les geôles libyennes et le partage des gisements souterrain d’eau potable, que la Libye exploite de manière unilatérale par le biais du fameux fleuve artificiel mis en chantier à la fin des années 1980 (Great Manmade River).

La peur de la contagion

Interrogé par SlateAfrique, un diplomate algérien de haut rang qui a requis l’anonymat estime qu’il n’y a rien de surprenant dans la position de son pays. «L’Algérie n’a pas intérêt à favoriser la chute de tel ou tel régime voisin même si nos rapports sont compliqués avec lui. Ce serait un fâcheux précédent», juge-t-il en précisant que la Libye est aussi «un partenaire essentiel de l’Algérie dans le soutien accordé à la cause sahraouie». Il est vrai que le Front Polisario, qui réclame l’indépendance de l’ex-Sahara espagnol, a toujours bénéficié d’un soutien régulier de Mouammar Kadhafi, y compris sur le plan matériel. Et Alger sait que rien ne dit qu’un nouveau régime libyen maintiendra cette position surtout s’il est pro-occidental.
Dans le même temps, il est évident que le pouvoir algérien sait que la chute de Kadhafi aura un impact important auprès des Algériens, fussent-ils opposés à l’intervention de l’Otan. Après les révolutions tunisienne et égyptienne, un tel événement pousserait ces derniers à exiger un changement de régime même s’ils demeurent très prudents pour le moment en comparaison de la fièvre qui s’est emparée d’autres peuples arabes.
Alger avance deux arguments majeurs pour expliquer son attentisme. Il y a d’abord la crainte du chaos durable dans la région, à l’image de ce qui s’est passé en Somalie. «Un enlisement serait un scénario catastrophe. Cela déstabilisera toute la Méditerranée occidentale», prédit le diplomate algérien. Ensuite, le pouvoir algérien ne cesse de clamer qu’al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) profite de la situation et de la déliquescence du pouvoir libyen. L’organisation islamiste aurait récupéré des armes, dont des missiles sol-air, lesquels auraient d’ores et déjà été transférés dans ses bases au nord du Mali. Alger en veut pour preuve le pillage de nombreuses casernes dans la région de Benghazi mais aussi les déclarations de l’amiral américain, James Stavridis, commandant suprême des forces de l’Otan en Europe, selon lequel il existerait bel et bien «une présence d’Aqmi auprès des rebelles» même si son rôle «n’est pas significatif».
Inquiètes, les autorités algériennes ont renforcé leur présence militaire le long de la frontière libyenne mais elles craignent les infiltrations. Les récentes embuscades mortelles en Kabylie vont certainement renforcer l’argumentaire des diplomates algériens qui ont réussi à convaincre une partie des pays occidentaux engagés dans l’action militaire contre Kadhafi de ne pas livrer des armes lourdes aux rebelles.

Règlements de compte sur la scène libyenne

Du coup, son lobbying contre les livraisons d’armes et, de façon générale, son attentisme, vaut à l’Algérie l’hostilité ouverte des rebelles. Ces derniers ne cessent de dénoncer sa passivité voire son implication militaire dans le conflit. A plusieurs reprises, Chamsiddine Abdoulmolah, l’un des porte-parole des insurgés, a accusé Alger d’envoyer des mercenaires combattre aux côtés des pro-Kadhafi. Le dimanche 10 avril 2011, il a même déclaré que son camp en avait tué 3 et capturé 15 à Ajdabiya. Une information immédiatement relayée par Al-Jazeera et une bonne partie de la blogosphère arabe.
Il faut rappeler que, depuis le début de la crise libyenne, les accusations fusent de toute part pour accuser le pouvoir algérien de soutenir militairement Kadhafi. De quoi altérer le prestige de l’Algérie dans le monde arabe et mettre en rage ses dirigeants qui se défendent de toute immixtion dans les affaires libyennes. Le 12 avril 2011, un communiqué officiel du ministère algérien des Affaires étrangères a d’ailleurs condamné «avec force le prétendu parrainage d’activités de mercenariat en Libye».
Dans l’habituelle phraséologie qui caractérise le discours officiel algérien, le document relève que«cet acharnement irresponsable à vouloir impliquer à tout prix les autorités algériennes» interpelle ces dernières «sur les desseins et les motivations de ceux qui sont derrière cette conspiration contre un pays dont le tort est de refuser de s’immiscer dans les affaires intérieures libyennes».
En outre, les autorités algériennes évoquent une conspiration et exigent que la rébellion libyenne fournisse des preuves de ce qu’elle avance, et rappellent qu’il est interdit à tout Algérien departiciper à un conflit à l’étranger. Une disposition destinée à l’origine à poursuivre ceux qui allaient s’enrôler dans les maquis afghans ou en Irak.
Interrogé par le quotidien arabophone El-Khabar, le politologue Hasni Abidi, fin connaisseur de la Libye, estime que les rebelles font une erreur tactique en mettant ouvertement en cause l’Algérie. Tout en rappelant que la diplomatie algérienne «a réagi avec retard dans la crise libyenne», il relève que le camp anti-Kadhafi «doit veiller à ne pas se laisser instrumentaliser par des puissances qui ont un compte à régler avec l’Algérie». Un propos qui met en lumière les hésitations de la rébellion libyenne et son manque d’expérience diplomatique. Forte du soutien de la France et de la Grande-Bretagne, cette dernière pense pouvoir triompher sans l’appui, même a minima, de ses voisins. Dans le cas de l’Algérie, cela pourrait lui valoir de nombreuses déconvenues.

Akram Belkaïd
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